[Clip] Victor Solf – Traffic Lights
Dans une cité à l’arrêt, là où tous les repères ont été effacés par une force extérieure que l’on ne parvient jamais à nommer, un homme erre entre les ombres, scrute les scènes suspendues d’un quotidien à jamais prisonnier de l’ambre du temps. « Traffic Lights » esquisse ce que l’individu craint le plus : tous ces éléments auxquels on se raccroche désespérément pour tenter, ne serait-ce que jour après jour et sans jamais remettre en question le présent ni le futur, d’exister et d’être pour soi-même autant qu’à travers les yeux des autres. La magie du titre de Victor Solf, chef-d’œuvre de minimalisme acoustique magnifié par l’impressionnante variété du trait de Dorian Escourrou, explore les carcasses vides, les lumières solitaires de lampadaires éclairant l’unique âme survivante ; mais, plus que tout, insuffle une motivation hors du commun. Car, au-delà du fait de se consumer dans ces lieux devenus soudainement passifs, l’être danse, purifie ses peines et ses angoisses au fil de chorégraphies improvisées, de regards, de métamorphoses. Il suffit de peu pour que la vie reprenne ses droits ; « Traffic Lights » illumine ce vain espoir, notamment grâce à un final choral risquant fort de longuement et tendrement nous hanter.
[Clip] Spinabifida – Claudie
Pour le coup, voilà ce qu’on appelle un interrogatoire musclé ; et ce, dans tous les sens du terme ! Dès les premiers accords de « Claudie », il est évident que les scènes prêtes à s’ensuivre seront à la fois dingues et électriques ; mais il est impossible d’imaginer à quel point. Car le rock de Spinabifida illustre admirablement les pensées du mauvais flic que celles, beaucoup plus réservées, du gardé à vue. Un tumulte montant crescendo, pour notre plus grand plaisir, la faculté inhérente à ce grand moment de violence visuelle et de puissance musicale se montrant apte à juguler nos envies de frapper tout ce qui bouge, sans pour autant oublier de faire monter l’adrénaline et de nous impliquer au cœur des événements eux-mêmes. Lorsque la frustration du policier désabusé et au bord de la crise de nerfs explose, tout éclate et monte les potards de la table de mixage vers une panne générale programmée. Un fait divers comme un autre, dans les caves sombres des brigades ? Pas du tout. Juste un pur besoin de laisser parler une justice différente en mélangeant idéalement humour noir et choc pelliculé. Le résultat transgresse toutes les lois, pour le plus grand et coupable plaisir de chacun d’entre nous.
[Clip] Andrre – Parasites
Le rapport amour/haine que se livrent Andrre et son encombrant invité parcourra chaque pictogramme de « Parasites », interrogation à la fois lucide et emplie de crainte de la part de l’auteur-compositeur-interprète. Ayant décidé, pour les besoins de son nouvel EP Lac Noir sorti le 13 mai dernier, de délaisser les machines afin de donner libre cours à une âme folk que l’on ne lui connaissait pas, le Québécois choisit de se confronter à ces dualités qui, sans crier gare, peuvent rapidement et inexorablement s’emparer de lui. De l’inspiration courant sous la peau et rejoignant les décharges cérébrales et sensibles à la malédiction du lien unissant l’artiste à ses nombreuses âmes sœurs imaginaires, « Parasites » chorégraphie admirablement la reconnaissance que chacun peut trouver dans son alter ego, malgré les indubitables différences les opposant au fil du processus créatif. S’apprivoiser au lieu de se faire du mal, ressusciter au lieu de condamner la muse, aussi monstrueuse et inquiétante soit-elle, sur l’autel d’une réputation culturelle toute tracée. Le risque pris par Andrre à travers Lac Noir s’épanouit prodigieusement dans les ténèbres de ce court-métrage oscillant constamment entre peur, affection et mélancolie. Lutter ne veut pas dire se résigner. Au contraire : l’essence de la métamorphose et de la complémentarité artistique est là, même dans les recoins les plus sombres et indicibles.
[Clip] Ulrich Forman – I’d lost my mind
Rarement, l’histoire d’une rupture aura été narrée d’une aussi puissante et émouvante manière. « I’d lost my mind » se décompose en chapitres d’une tragédie annoncée, bien que les actes et conséquences demeurent constamment en second plan, dans un flou laissant au spectateur le soin d’imaginer ce qui se dit et s’accomplit. Sur le côté droit de l’écran, Ulrich Forman interprète la bande originale de ces scènes du désastre et de la culpabilité, de ces chorégraphies de l’indicible et de la séparation. Une sobriété dont la mise en scène amplifie d’autant plus le déroulement d’une action nous coupant le souffle, que ce dernier soit empli de larmes que nous tentons de retenir ou de reconnaissances profondes d’un vécu omniprésent dans nos existences. Le découpage, tétanisant, traçant une frontière indélébile entre homme et femme, est éprouvant, fort, violent. Marquant intensément la souffrance de chacun, qu’elle se manifeste au creux des paroles ou au fil des mouvements d’une danse purificatrice, il est sans aucun doute le plus beau et cruel témoignage de ces écarts qui, sans que l’on s’en rende compte, se transforment en gouffres infranchissables. Des contes de la vie ordinaire qu’Ulrich Forman explore sur son nouvel album, Chapter IV : Vulnerable, impatiemment attendu pour le 27 mai prochain.
[LP] Oslo Tropique – Entre les mains des robots
Transformer le quotidien en sources d’inspiration existentielles. Vivre la course de la pensée comme si cette dernière devenait suffocante si l’on essayait de la stopper. Entre les mains des robots ne tolère aucune pause, aucune respiration dans le tumulte fracassant des sujets intarissables de poésies réalistes et fortes d’un quotidien bercé d’illusions médiatiques et de solitudes productives. Entre dissonances et distorsions, au fil d’un rock n’oubliant à aucun moment son potentiel revendicatif et missionné de l’éveil de nos consciences, Oslo Tropique recentre nos repères obsolètes et impressions pré-programmées face à la Matrice d’une pensée unique. Les vers sombres et intenses de ce formidable discours social et humain déclenchent les détonateurs d’un fulgurant éveil en ouvrant les portails d’un monde hors de l’état second, de l’endormissement collectif et de la passivité. C’est en cherchant ses propres dysfonctionnements que le groupe a réussi l’impossible : transmettre, dans un incroyable mélange de sagesse et de rage, une philosophie déclinant le triste ordinaire en infini extraordinaire. Une œuvre unique en son genre, mûrie et ciselée pour desceller les barreaux de nos âmes trop longtemps enfermées.
Entre les mains des robots d’Oslo Tropique, disponible depuis le 20 mai 2022.
[Clip] Agathe – 6AM
Les premières secondes de « 6 AM » laissent imaginer un duel en devenir, une confrontation entre peur et volonté de parvenir à affronter les minutes sur le point de se produire. Un regard, quelques accords de guitare, puis la caméra s’éloigne et nous présente la figure solitaire que nous prendrons, sans nous y attendre, sous notre aile. Grâce à un noir et blanc à la fois oppressant et amplifiant les figures et géométries nocturnes, le court-métrage se vit aussi bien comme une épreuve que tel un chemin de croix dont nous sommes les seuls à pouvoir inverser la tendance. Le chant d’Agathe consume peu à peu les repères réconfortants des lumières urbaines, amplifiant davantage les ombres prédatrices de rues infréquentables. Tout s’accélère : les battements cardiaques, la montée incontrôlable de l’adrénaline, la présence soudaine des vautours. Courir, coûte que coûte. Et, de ce fait, nous confronter à cette révoltante réalité de la solitude féminine lorsque, tard, il faut regagner son seul et unique refuge. « 6 AM » est un blues rock désespéré et intense, la narration du malaise d’une civilisation prête à sacrifier l’innocence sur l’autel de l’égoïsme et de la violence physique et sexuelle. Rien ne sera montré, tout n’est qu’imagination, comme le révèle la conclusion du film ; mais ces vérités existent et persistent, malheureusement. On ne le répétera jamais assez : à notre tour d’inverser la tendance, portés par l’inoubliable impact d’une implacable œuvre visuelle et musicale.