[Groover Time #9] Me & Melancholy, Bil&Gin, Kasmir Hird, ISAMBOURG, Peter et Trickster & Royal Philarmonic Orchestra

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By Raphaël DUPREZ

[LP] Me & Melancholy – You and me, Melancholy

Inutile d’essayer de se cacher pour échapper au spleen ambiant du formidable You and me, Melancholy. En effet, sous ses atours d’électro inspirée des mélodies anglo-saxonnes de la fin des 80’s, l’album de Me & Melancholy écrit une page inédite de l’immersion aux tréfonds de la tristesse, de ses causes et de ses conséquences. De promesses non tenues en aveux de faiblesse, l’opus est un effondrement, une liquéfaction des ultimes barrières positives de la conscience. Dans un minimalisme froid et envoûtant, chaque chanson devient une confession, l’extension d’une âme à jamais égarée, pour laquelle l’idée de rejoindre la berge n’est plus qu’une illusion. Pour autant, You and me, Melancholy n’est pas un cauchemar vivant ou une œuvre propice à nous immerger dans une profonde dépression ; car l’utilisation de ses mélodies synthétiques le transforme en voyage au-delà de l’épreuve et de la souffrance, survolant ce qui est pour mieux bouleverser ce qui doit être. À l’auditeur de faire son choix, comme l’y incite la récente « dark version » de l’introductif « I let you down », summum de paradoxe entre ténèbres et lumière.


[Clip] Bil&Gin – Paris (City Stop)

D’une sensualité extrême, « Paris (City Stop) » convie chacune et chacun de nous à une virée nocturne durant laquelle les mouvements des corps inspirent immanquablement le désir et la chaleur. Portant leurs instrumentations et leur phrasé afin d’accompagner les acteurs que nous devenons au cœur de cet enchevêtrement de scènes cinématographiques, Bil&Gin décrivent, déploient l’attraction et ne cessent de nous pousser dans les bras d’autres âmes noctambules afin de savourer le moment présent. De ses réminiscences instrumentales 80’s à ses phases lyriques toujours plus modernes, le titre chavire, coule au fond de nos gorges et achève de nous enivrer pour mieux nous encourager à l’action. Nuire à la passivité et à la contemplation ; c’est la mission, parfaitement réussie, que s’est fixée « Paris (City Stop) », étape brûlante d’un périple dont nous découvrirons les autres lieux secrets d’ici quelques mois.


[Single] Kasmir Hird – C’mon

Ne jamais se fier aux apparences : sous ses faux airs pop électrisés, « C’mon » cache bel et bien une rage et une frustration punk qui, une fois le refrain enclenché, explosent dans les cris du chanteur, dans le décalage vocal et les envolées enflammées. Et, pour un jeune artiste comme Kasmir Hird, cela relève du miracle à l’état pur, tant ce dernier a compris ce que signifiait le langage qu’il a décidé d’employer. « C’mon » sent la rage, la sueur, la déception et la rancœur. Le corps et l’esprit mis à mal du songwriter trouvent ici un parfait exutoire, une exclamation en point d’orgue par laquelle, dans la précision aiguisée de son instrumentation, il exprime haut et fort ses inquiétudes et sa volonté croissante d’aller malgré tout de l’avant. Prêt à tenter le tout pour le tout, Kasmir Hird s’accorde une chance ultime en préparant la suite de cette allumette rock sur le point de se consumer ; et on attend le résultat avec une immense impatience !


[Clip] ISAMBOURG – Le Vent (Live à la Camillienne)

Lorsque l’on rencontre ISAMBOURG pour la première fois, ce qui nous impressionne le plus demeure son incroyable maturité. Liant une écriture fine, limpide et imagée à un timbre vocal imprégné du verbe qu’il déploie, le musicien étonne puis fascine, sans que notre regard puisse jamais le quitter des yeux. Cette chance inouïe qu’il nous offre grâce à la session live de sa chanson « Le Vent », merveille d’intimisme parsemée de bougies et de regards admiratifs, à juste titre. Et c’est dans de tels moments que le mot « Beauté » retrouve tout son sens, se réapproprie sa définition. Car, sur son îlot dérivant vers des terres encore inconnues, ISAMBOURG navigue sur les mers calmes et reposantes d’un folk admirablement composé et arrangé, amplifié par le chant des sirènes envoûtant de Philippine Lavrey. La sensation se fait plus présente autour de nous. Notre décor quotidien change, s’efface au profit des descriptions et saynètes évoquées par cet incontournable songwriter. « Le Vent », ce souffle propice à l’apaisement de notre respiration, transporte les contes et légendes d’un écrivain de l’âme comme on en rencontre peu souvent.


[Clip] Peter – Nana

« Nana » est une ivresse, tant dans sa performance musicale qu’au fil des images auxquelles il nous invite. La voix de Peter, presque murmurée, n’essaie à aucun moment d’amplifier les sentiments qu’il expire, dans un ultime désir de revoir celle à laquelle il dédie ses paroles. La profondeur nocturne de « Nana » est une errance sans but, parfois interrompue par des souvenirs filmés, des écrans à peine abîmés sous les assauts du temps et du souvenir. Les perspectives se font floues, quasiment invisibles tandis qu’une lumière, derrière le chanteur, lui permet de se dissimuler pour ne pas montrer sa peine. L’expérience est d’autant plus vibrante qu’elle ne cherche jamais à aller au-delà de l’interprétation : électronique et organique font corps, caressent les réminiscences sur pellicule et les ondulations de muscles et de membres engourdis et esseulés. Jusqu’à l’un des ultimes plans, emprisonnement involontaire dans le monde mélancolique et à vif d’un artiste inspiré, titre après titre, par les heures qu’il scrute intensément sur cette Terre.


[Clip] Trickster & Royal Philarmonic Orchestra – Praise Be It’s Christmas

Petit retour en arrière sur un miracle de Noël qui, si l’on en croit les premiers mots de « Praise Be It’s Christmas », était bien loin d’être gagné. L’histoire du loser que nous suivons lors de cette introduction à la fois sincère et, il faut bien l’admettre, carrément plombante, devient très vite passionnante au fur et à mesure de son évolution lyrique et musicale. La résonance sociale et politique du titre de Trickster a largement dépassé la période des fêtes de fin d’année et, par ses arrangements orchestraux, ne cesse de nous inspirer le constat amer et injuste d’une société apte à donner la nausée à n’importe quel extraterrestre débarquant sur Terre en 2023. Pour l’heure, c’est bel et bien Santa qui, découvrant les décombres d’un monde qu’il n’a plus côtoyé depuis un an, se prend une méchante claque et finit par se demander si son intervention va parvenir à mettre du baume au cœur des victimes de cette incommensurable déchéance. « Praise Be It’s Christmas » se métamorphose alors en hymne engagé trouvant sa place fédératrice pour les mois à venir, tout en refusant continuellement de s’avouer vaincu. Inattendu, radical et d’un militantisme aiguisé et maîtrisé, dont on vous conseille d’aller consulter la version non censurée dès maintenant sur Spotify.