[Clip] Bikini Test Failure – Uncomplimentary
Tout part du manque de dialogue, de ce qui n’est pas dit ou avoué et de l’absence de compréhension entre deux êtres. « Uncomplimentary » laisse défiler les évidences d’un rapport de force perdu d’avance, de ce que le secret des sentiments et de l’esprit n’osera jamais révéler ouvertement. Or, dans le cas de Bikini Test Failure, c’est le contraire qui se produit. La chanson, aussi douce et pop soit-elle, n’oublie jamais d’affirmer haut et fort ce que nous taisons, par peur du jugement ou de l’emportement d’autrui. Tour-à-tour amusant et révélateur, « Uncomplimentary » se mue en un discours appuyé et affirmé du mutisme volontaire, de ses causes et de ses conséquences.
[LP] Pierre Estève – Sky Flowers
Conçu comme la bande-son de l’installation artistique de Pierre Estève, Sky Flowers n’en oublie cependant pas, d’une part, d’accompagner son matériau d’origine et, d’autre part, de le transcender et de le prolonger. S’imprégnant de phénomènes naturels et spirituels, l’œuvre se contemple autant que sa base fondatrice, les mouvements interagissant avec une délicatesse et une pureté cristallines. Rapport de l’humain à la nature, de l’objet-roi à son créateur, de la naissance à la destruction, Sky Flowers développe une succession de comptines instrumentales où la beauté se voit parfois subrepticement menacée par des basses graves, des échos infinis ou des sons tantôt épileptiques, tantôt chimiques. Un ensemble électro-acoustique aussi sauvage et admirable que les visions de son artisan, offrant l’accouplement impromptu des machines, des inspirations et des fantasmagories.
[Clip] Pierô – Voyage temporel
« Voyage temporel » semble venir d’une autre époque, imbibant les buvards d’une encre puisée au bord d’un pupitre d’écolier. La force de la chanson de Pierô est de parvenir, alors que cela semblait impossible, à faire renaître de leurs cendres des mélodies et paroles depuis longtemps oubliées. Partition d’une chanson française se suffisant à elle-même, sans effets inutiles ou autres techniques trop modernes, « Voyage temporel » parcourt sciemment l’Histoire, les lieux immémoriaux toujours fréquentés par les fantômes immuables d’incomparables créateurs. D’une poésie extraordinaire, ce monument de lyrisme sobre et inspiré aime à se prélasser aux terrasses de cafés désaffectés, à faire revivre ce qui nous semblait à jamais perdu. Pierô doit tout à ces heures nostalgiques. Et rend un émouvant hommage à ses inébranlables idoles, avec décence et humour.
[Clip] Ari Kali – The Storm
Sous le choc de la séparation et de la rupture, Ari Kali exerce en elle une introspection apte à la laisser s’exprimer comme elle le désire. Dans ce vent de liberté à nouveau acquis, et malgré les blessures qu’elle porte en elle, elle explore les divergences, les pertes, les traumatismes. Fruit de cette contemplation ayant demandé un immense courage, « The Storm » se pare d’une sombre beauté, d’une attirance amenant le spectateur à vivre ce qu’il voit, à interagir avec les figures prisonnières d’un noir et blanc aussi fragile qu’oppressant. N’essayant à aucun moment de modérer l’indicible, Ari Kali préfère l’écrire et l’interpréter sous une forme musicale et visuelle d’une rare et respectable honnêteté. « The Storm » nous parvient tout d’abord de loin, puis éclate tout autour de nous afin de purifier la souffrance et d’annihiler les peurs de l’avenir. Une œuvre troublante, venimeuse et d’une incroyable sagesse.
[LP] Gilad Ronen – Reflections
Reflections est une œuvre hybride à bien des égards. En effet, l’opus de Gilad Ronen ne se contente jamais de demeurer dans une sphère purement jazz qui, au final, ne serait synonyme que de répétition et d’hermétisme. Constamment à la recherche de ce que le style dissimule au point de ne jamais s’y aventurer, le compositeur distille d’autres atmosphères, que ce soit grâce au chant, sublime, ou à ses divagations sonores en compagnie d’interprètes totalement acquis à sa cause. Ce qui achève de transformer Reflections en une introspection belle et douce, sans pour autant omettre une énergie folle et un défoulement de l’âme comme on en entend de plus en plus rarement. Un disque céleste, magique et onirique.
[LP] KlearLyght – Psilocybin for Sanity
Bienvenue dans le trip hallucinogène d’une substance musicale apte à transporter l’auditeur vers des sphères spirituelles où les images mentales se distordent, se mélangent, se confondent. Au fil de Psilocybin for Sanity, KlearLyght développe les projections d’un ailleurs psychique où l’électronique, les sensations auditives et les perceptions vocales se font vaporeuses, distantes, étranges. Ancrant ses pistes instables sur des fondations rythmiques à même de plonger ses victimes dans un état second incroyablement agréable, le disque ondule, amplifie les perceptions sensorielles et, contre toute attente, amène à un équilibre inattendu. S’opposant à la folie de l’overdose, Psilocybin for Sanity demeure, au contraire, une médication dont les effets bénéfiques se font encore sentir bien après son écoute. Et nous pousse même à en reprendre quelques milligrammes, pour le simple plaisir d’une pleine conscience retrouvée.
[Clip] Colt Wiseman – Espoir
L’adéquation entre la musique de Colt Wiseman et les peintures et décors jaillissant devant nos yeux est totale. L’invitation au voyage du compositeur, débordant ainsi du cadre de la toile, se confond dans les couleurs, les teintes instrumentales, les arrangements proches des visages et des lieux explorés. « Espoir », ce sentiment trop souvent relégué au second plan, prend ici une dimension d’autant plus poignante et réelle. Les mélodies et arrangements de Colt Wiseman épousent les sujets, les figures, les ralentis et les matières que l’on se prend à pouvoir toucher, même par écran interposé. Une telle conjonction est trop rare pour ne pas être soulignée et admirée. Tant et si bien que l’on comprend, au fur et à mesure des œuvres charnelles et méditatives de leur créateur, que le bien-être et la tendre complémentarité des cultures et des êtres reste à portée de main ; celle-là même qu’il nous tend pour mieux nous emmener sur la route, à ses côtés.
[Clip] TREIZE – Se Canta
Il faut un sacré culot pour reprendre le splendide hymne occitan, en modifiant de façon aussi intense son instrumentation et son interprétation. Mais ce serait mal connaître TREIZE. Les deux frères, ayant déjà fait leurs preuves avec les récents « Zone 57″ et Avant minuit » – que nous ne pouvons que chaudement recommander à toutes celles et tous ceux demeurant avides d’expériences électro-pop soignées et puissantes -, ont pris le pari de relire la partition originelle de ce chant fédérateur, dont le texte demeure jusqu’à aujourd’hui l’un des plus beaux testaments de sa culture originelle. Et parviennent, dans un respect et une modernité hors du commun, à transformer de si prestigieuses fondations en une forme vocale et musicale révérencieuse et affectueuse. Absolument aucune intention ni réappropriation ne dénote ; c’est même l’inverse, tant « Se Canta » immortalise, s’il en était besoin, les résonances immortelles de son hommage honorifique. Une dimension imprévisible, osée mais qui, au final, se fait aussi bouleversante que tournée vers l’avenir. TREIZE attire les nouvelles générations autant que les anciennes, le long d’une marche que personne ne pourra, ni ne voudra, arrêter.
[Clip] Pauline Mann – Le vagabond
« Le vagabond » est un fantôme. Celui, discret mais puissant, des premiers émois amoureux. Celui, plus avide et parfois tendre, du sentiment lorsqu’il progresse à travers l’âge, le vécu et le souvenir. Pauline Mann se focalise sur lui, sur ses apparitions fugaces et les traces indélébiles qu’il laisse sur la peau et dans le cœur. L’atmosphère, douce et étrange, monte en intensité au fil des variations vocales, des mots et des chants. Des ombres, des traits et figures que l’on n’ose toucher de peur de les voir se réduire en cendres. Des harmonies de cordes qui sont autant de voix dans la nuit solitaire. « Le vagabond » s’observe, de loin, avec déférence et respect. Ses traits, impressions et introspections retranscrits par Pauline Mann éveillent en nous le désir, le silence. La chanson évolue constamment entre la couleur et l’ombre, entre l’émerveillement et le recueillement. Un passage, des retrouvailles, une séparation. Une boucle temporelle et mentale tout sauf figée. Une lueur au loin, attirante et tendre. « Le vagabond » vaut mille mots, et plus encore. Mais il demeure, surtout, une expérience sensorielle de la passion et de l’invisible pour le commun des mortels. Une éternelle extase.