[Groover Time #40] Asher Laub, Mister Lamzo feat. Chica-mel, Jonathan Louis, Le Cha feat. Space Nerdz, Face Cacher, Joe Hoster, S.J. ARMSTRONG, C2G et Bad Rabbit

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By Raphaël DUPREZ

[Single] Asher Laub – Shemesh

Il aura suffi de trois minutes à Asher Laub pour écrire l’une des plus belles pièces orchestrales de l’année 2023, voire de la décennie. « Shemesh » pousse le compositeur et interprète à aller beaucoup plus loin dans son écriture, à forcer les portes closes de cordes multiples et aptes à accueillir, en leur sein, l’intelligence et la créativité de l’artiste. « Shemesh » dessine les mouvements tantôt emportés, tantôt intimes d’un dialogue entre mille voix, mille âmes en quête de conjonction et d’un espace accueillant leurs nombreuses libertés et humanités. Le résultat est une prouesse harmonique et mélodique trop rare pour ne pas être savourée et explorée dans ses secrets les plus discrets. Une exceptionnelle effervescence instrumentale.


[Clip] Mister Lamzo – Dans Mes Rêves feat. Chica-mel

Durant les premières secondes de « Dans Mes Rêves », il serait tout-à-fait possible de craindre une nouvelle déviance rap emplie de clichés démodés ou d’images trop appuyées. Mais, dans le contexte du dialogue entre Mister Lamzo et Chica-mel, le clip et sa bande-son se montrent beaucoup plus intenses et réfléchis. Sans jamais sombrer dans la démesure d’une espérance surchargée de vœux impossibles à exaucer ou de réussites faciles, « Dans mes rêves » exploite à fond la convergence masculin-féminin, le partage des volontés et des forces acquises afin d’atteindre leur objectif commun. Grâce à son rythme dansant et contagieux et, plus que tout, au flow précis et complémentaire des deux artistes, le résultat est un moment de grâce et d’imagination que nous nous plaisons à savourer, écoute après écoute.


[Clip] Jonathan Louis – Fiertés

Difficile d’aborder le sujet des fiertés homosexuelles sans, d’une part, s’attirer les foudres de nombreux réacs’ biberonnés à la propagande ou, d’autre part, se perdre dans un dédale d’images et de révolutions trop souvent assénées. Lorsque Jonathan Louis s’attaque à « Fiertés », le constat est sans appel : chaque camp se doit de totalement respecter la forme musicale et narrative que le compositeur et interprète a su mûrir et créer. Que ce soit à travers ses images, magnifiques, d’une humanité heureuse grâce à ses décisions et choix existentiels, ou par la justesse argumentée et vibrante de son texte, le clip est bien plus qu’une réussite. Il est une remise des compteurs à zéro, un aplanissement nécessaire des évolutions sociales, parentales et filiales. Jonathan Louis a donné naissance à l’hymne le plus franc et vivant de son thème de prédilection, ne laissant alors aucune place à la haine ou au doute.


[Clip] Le Cha – Extraterrestres (feat. Space Nerdz)

Comme si « Extraterrestres » ne se suffisait d’ores et déjà pas assez en tant qu’OVNI musical, il aura fallu que Le Cha amplifie toujours plus l’impact de son nouveau clip au moyen d’illustrations aussi drôles que touchantes. Tandis que nous l’avions laissé, il y a quelques mois, en proie aux tourments de la tentation amoureuse, notre bienfaiteur de l’humanité revient d’un kidnapping du Troisième Type avec une énergie folle, balançant ses mouvements techno à la face du monde sur lequel il atterrit après son voyage intersidéral forcé. La rencontre de l’humain et des créatures qui, de loin, ne cessent jamais de l’observer, se mue en une vision passionnante et réaliste de ce que nous sommes, toutes et tous, en train de devenir. En plus d’être une belle claque sonore que nous ne pouvons pas éviter, « Extraterrestres » n’oublie jamais de remettre quelques petites idées reçues à leur vraie place. Une nouvelle victoire par K.O. pour Le Cha.


[LP] Face Cacher – Digital

Question : qui est Face Cacher ? Sans nous lier à sa simple apparence au fil de ses clips et, aujourd’hui, sur la pochette de Digital, il nous semble évident que le musicien dissimule bien ses multiples capacités. Ne sombrant jamais dans l’illustration musicale aisée de textes imprégnés de relations achevées et de questions existentielles sur le droit à l’amour ou à une vie plus simple, notre homme se pare d’instrumentaux au fil desquels la technique se met avant tout au service de sa créativité. Les harmonies synthétiques et les variations rythmiques nous perdent tout d’abord, puis inscrivent la présence de Face Cacher comme seule et unique projection de ses impulsions mentales et de ses réflexions mélodiques. Beaucoup moins inoffensif qu’il n’y paraît, Digital fréquente la technologie et les masques virtuels que nous portons toutes et tous afin de les remettre au centre du système. Là où le cœur bat.


[Single] Joe Hoster – Zeppelin

À l’image de la figure légendaire dont il s’inspire, le nouveau single de Joe Hoster nous mène à un envol, loin du tumulte et des chocs ambiants. « Zeppelin » offre au compositeur une voûte céleste à même d’accueillir l’incessante progression de son écriture et de son interprétation, dès lors que notre moyen de locomotion mental prend son élan vers une destination lointaine. Le voyage est à la fois bercé d’instants au bord du silence et de mouvements venteux, mais l’expérience ne s’en fait que plus essentielle et bienfaisante. « Zeppelin » démontre, s’il en était encore besoin, l’originalité de Joe Hoster dès qu’il s’agit de confier de nouvelles capacités au piano. La symbiose parfaite de l’homme et de l’instrument, afin de toujours mieux éclore en nous.


[Single] S.J. Armstrong – Designing a Spacecraft

L’inventivité avec laquelle S.J. Armstrong aborde « Designing a Spacecraft » le rapproche bel et bien de l’image du savant fou prêt à tout pour parvenir à décrocher les étoiles. Les mouvements pop rock de ce nouveau single, imprégnés de la voix douce et soignée du songwriter, ne cessent de nous orienter vers des directions psychédéliques ne cherchant pour autant jamais à devenir trop versatiles. « Designing a Spacecraft » est avant tout fait pour donner vie à un moyen de locomotion issu du cerveau hyperactif de son concepteur, le résultat nous préparant à un décollage prometteur et empli de mille et une découvertes que nous ne soupçonnons pas encore. Toujours plus loin vers le soleil et ses mystères, S.J. Armstrong approfondit son écriture et ses velléités instrumentales, avant la sortie imminente de son second album.


[Single] C2G – Rainy Day

C2G porte l’art musical à un niveau rarement atteint. Loin de se contenter des racines rap et trip-hop dont le collectif s’imprègne, il parvient à amener une forme magnifiquement humaine à ses compositions. Chaque instrument s’éloigne de la mécanique des styles et trouve une place prépondérante afin de bâtir le socle sur lequel la voix pourra se poser. Dans sa démarche, C2G s’approche des libertés du jazz mais ne s’y attarde pas. Il faut bien plus pour se focaliser sur l’expérience qu’est « Rainy Day ». Le texte est une poésie à la fois fantastique et ancrée dans le réel, une progression sincère et radicale de l’humanité et de l’être face aux écueils. Au final, le single se vit de l’intérieur, avec autant de curiosité que de respect.


[Single] Bad Rabbit – Not a Night for Morning

L’histoire de « Not a Night for Morning » est assez singulière. Écrite à la fin des 70’s par Tim McHugh et composée par Tommy Donovan, la chanson a longuement patienté avant de retrouver sa voie, ici et maintenant. Auparavant baptisée « Not a Knight for Mourning » (dont vous trouverez facilement la traduction), l’œuvre de Bad Rabbit s’est parée d’une nouvelle instrumentation mais a privilégié le fait de conserver l’enregistrement vocal sur cassette, capté en 1984. Alors, pourquoi aujourd’hui ? Tout simplement parce que l’évolution de cette ballade à travers les âges attendait son heure. À son écoute, il est rapidement évident que, autrement qu’à travers la modification de son titre, « Not a Night for Morning » avait besoin de cette maturité et de la symbiose entre interprétations modernes et piste nostalgique. Tandis que leur éclat musical précédent se muait en un monument instrumental progressif d’une beauté magistrale, le travail que nous savourons durant cinq minutes à la fois sombres et tendres vient marquer un contrepoint essentiel à la créativité de Bad Rabbit. Une façon d’étendre leurs insatiables inspirations et de prouver, s’il en était besoin, que tout peut arriver grâce à ce groupe décidément à sa place au cœur de l’univers artistique contemporain. Certains parleront trop vite de revival ; pour nous, Bad Rabbit ont pris conscience de l’importance capitale de leur patience et de leur ténacité. Pour le meilleur.